Poésie avec Aurélien Dony
Illustration de Amélie Bolen / de Gilda Félée
C’est con
C'est con
Comme bon les choses quand même
Tu roules à pleins poumons
Sur ton vélo
Ton vieux vélo
Ton vieux vélo des jours d'enfance
Tu roules tu roules
Tu roules à fond
À pleins poumons
Tu roules et roules en bord de Meuse
À t'en fendre le crâne tu roules
Tu roules à fond à pleins poumons
Tu roules et puis
Comme ça c'est con
Tu roules et puis
Tu heurtes
Un papillon
Putain
Moi pensais pas
-moi sans permis, sans voiture, sans moteur ;
moi tu sais bien toujours en train toujours en tram ou en métro-
Moi pensais pas t'imagines bien
Un jour comme ça
Heurter
Un papillon
Entendre
Un léger "poc"
Et voir tomber
Le papillon
Sur le bitume
J'ai freiné
Me suis penché j'ai vu
Le papillon
Deux pattes
Qui s'agitent
Ridiculement
Dans l'air
Merde
Putain c'est con
C'est quoi c'est rien bordel qu'est-ce qui raconte
Ce n'est jamais qu'un papillon
Ben oui peut-être mais moi j'avais
Jamais heurté
De papillon
J'l'ai ramassé
L'ai déposé
Plus loin
L'ai ramassé
L'ai déposé
Au parapet
Des jours de triste
Et le soleil
Du bord de Meuse
L'a je sais pas l' a comme drapé
Drapé, oui, comme drapé
L'a drapé de lumière
C'était joli presque sa mort
C'était jour de deuil au soleil
Et ses couleurs
Au parapet
Des jours de triste
Ses belles couleurs
Un incendie
Pour mieux s'éteindre
Ses belles couleurs
En bord de Meuse
Comme un fanal
Ses belles couleurs
C'est con
Tu roules un jour
À pleins poumons
À t'en fendre le crâne tu roules
Tu roules et heurtes
Un papillon
Et toi plus tard
Dans un train vers Bruxelles
Un jour d'octobre
Très tôt
À chercher quelques mots
Pour un papillon mort
Quelques mots
Comme un poème
Pour lui survivre
Un peu
On dirait
Ça s'apparente au jour
C'est tout pareil vraiment
Ça vrombit tu le sens
Sur ta peau qui s'éveille
Et ça chante à tue-tête
Aux arbres d'alentours
Ca s'apparente au jour
Ça parle avec ses mots
Ça porte ses habits
Ça glisse du Nord au sud
Comme un vol d'hirondelles
Ça nous sourirait presque
Ça s'apparente au jour
Vraiment comment savoir
L'oiseau trace sa route
Au bleu de ses voyages
Les écharpes sont douces
Et les marches sereines
Ça s'apparente au jour
Et puis ça te revient
T'as le goût dans la bouche
Et l'odeur aux narines
Ça te colle aux chaussures
Ça te prend à la gorge
La peur
Putain la peur
Comme une nuit sans nom
Comme un poing dans la gueule
Comme une fosse à soleil
Un trou comme une mort
Où trébucherait ta joie
La peur
Ça rythme maintenant
Tes pas qui vont nulle part
T'as perdu ton chemin et le goût du hasard
Tu récites les chiffres
Ânonnes le nom des mort.e.s
Et tu trembles à vrai dire
Ça s'apparente au jour
Le jour tu t'en souviens
Ça ne se collait pas
L'oreille à la radio
Et le cœur aux infos
Le jour...
Plusieurs mois
Putain des mois
Des mois ma mère, des mois
Des mois derrière des mois
Que du jour nous
Réclamons la lumière