KIKK festival « Tales of Togetherness »
Chronique : Marie Aude Rosman | Photographies : Marie Aude & Sébastien Roberty | Dessins : Davely
Il était attendu. Il est déjà fini. Chacun repart de son côté.
Fondée en 2011 à Namur, KIKK est une association qui vise à promouvoir les cultures numériques et créatives en créant des ponts entre l’art, la culture, la science et la technologie. Un de ses projets majeurs est le KIKK festival. Il s'agit d'un événement qui rassemble des intervenants de tous horizons autour de ces questions. Designers, scientifiques, makers, entrepreneurs, artistes, architectes, développeurs, musiciens... Ils livrent des anecdotes personnelles, expériences professionnelles, idées innovantes, présentent une œuvre, un projet ou un produit... Le tout dans un cadre qui favorise l’ouverture, l’échange et la découverte et dans le but de préfigurer les défis de notre monde.
Pour cette 11e édition, le KIKK nous plonge au cœur de ce qui nous rassemble en tant qu’êtres humains. Des « Tales of togetherness », des « récits de convivialité » que nous avons attendus et qui nous racontent le rôle qu'a pris la technologie dans des moments d’intimité, de synchronicités, d’enchantements et d’inattendus, ainsi que l’impact d'années de distanciation sociale et physique sur la création artistique et numérique. Plus spécifiquement, le KIKK in Town, un parcours de plus de 60 œuvres disséminées à travers la ville, met en lumière ces histoires virtuelles ou réelles, dans des langues qui permettent de communiquer, de partager par delà les frontières linguistiques, les différences culturelles, les origines ou le genre.
Communiquer
Nous avons tous déjà entendu parler de traditions mythologiques ou religieuses, pour lesquelles il existait autrefois une langue unique parlée de tous, partagée par les humains et les êtres surnaturels. Un des postulats de cette édition est que ce langage persiste aujourd’hui sous de multiples formes, bien que les langues aujourd'hui semblent parfois encore nous séparer les uns des autres. C'est justement ce qu'explore Laura Nsengiyumva avec Helen, en tentant d'exposer la variété des langues africaines à travers monologue biographique récité par Helen, une jeune femme européenne. Au moyen d'un voice-over à multiples couches en Swahili, Wolof ou Tigrina, Nsengiyumva retourne la situation d'exclusion que ressentent les populations récemment immigrées. Un exemple dans lequel le numérique permet d'exposer une problématique habituellement intangible.
Vivre ensemble...
Cette expérience est déroutante, car elle met en lumière ce que signifie vraiment le fait de vivre dans un monde “non familier”, mais qui finit toujours par se réorganiser grâce à notre humanité et nos capacités à communiquer autrement. Par son oeuvre Supraorganism, Justine Emard nous fait entrer en symbiose avec un organisme de vie modelé à partir de données collectées dans un essaim d'abeilles grâce à une machine dotée d'intelligence artificielle, exposant ainsi l'existence d'intelligences collectives, des capacités d'adaptation de la vie sans paroles. Un postulat qu'Eric Arnal Burtschy et Laura Muyldermans soutiennent également. Dans une plaine de jeux sonores, les corps se mettent en mouvement pour produire des sons à partir des dispositifs ludiques. Après quelques moments d'adaptation, d'appréhension du son et d'écoute des autres participants, nous remarquons que la mise en musique se régule toujours d'elle-même. Play with me est une installation simple qui permet à n'importe qui de se (re)sentir connecté aux autres.
© Sébastien Roberty
... Dans l'illusion
Il est remarquable en effet qu'en matière de rassemblement, de collectivité et de langage universel, la musique et la danse fassent souvent partie des exemples les plus énoncés. C'est ce qui a mené l'artiste Anouk Kruithof à écumer les profondeurs d'internet dans le but de retracer l'histoire médiatique de la danse. Dans son installation immersive jouxtant des vidéos de styles et d'origines différents, avec des tubes musicaux entraînants, elle nous invite nous aussi à entrer dans la danse. Mais au-delà du sentiment d'universalité éprouvé, l'impression de distance et de solitude demeure, renforcée par les écrans qui scindent l'espace d'exposition. Le désir de connexion devient rapidement illusion dans un monde désabusé qui a connu enfermement et isolement globalisé. Le groupe n'est-il pas un leurre ? L'individu est-il si important ? Comment se définit-il ? C'est aussi les questions que se posent Michael Frei et Mario Von Rickenbach dans leurs animations interactives de Kids. Grinçants et absurdes, ces jeux animés nous poussent à repenser notre place dans les foules, et leurs points de vue ne sont pas très enthousiasmants...
- Cliquez sur l'image pour découvir la chaine Youtube de Michael Frei -
© Sébastien Roberty
Illusion de l'unique
... Au point même que la question de l'individualité est remise en question par certains artistes de cette édition. Dans Us, Aggregated 3.0, Mimi Ouocha nous offre une vue d'ensemble d'images qui évoquent la communauté, l'appartenance, la ressemblance, à partir d'images personnelles de l'artiste, placées dans la barre de recherche inversée de Google afin de faire ressortir des images similaires... mais complètement différentes !
Être seul...
Le groupe est donc un moyen de coercition vers un lieu de pensées dans lequel notre esprit n'aurait jamais été seul, mais également quelque chose dont on ne pourrait se passer. La solitude de la pensée n'est jamais absolue, son équilibre dépend intrinsèquement de ses relations. Après tout, nous sommes des animaux sociaux comme nous le rappelle aussi Teun Vonk avec The Physical Mind. Cette installation est faite de deux ballons gonflables entre lesquels le participant se retrouve couché et surélevé puis gentiment écrabouillé. Son objectif est de faire directement ressentir aux participants l'intense relation qu'il y a entre nos états mentaux et nos états physiques.
© Marie Aude Rosman
... Dans l'inconnu
Des états qui, selon Roel Heremans, risquent de perdre leur autonomie avec l'avancée technologique des interfaces intelligentes. En ce sens, il tente de matérialiser les Neurorights (neurodroits, visant à nous protéger de débordements éthiques que les neurosciences pourraient engendrer sur l'usage de nos cerveaux) à travers 5 installations interactives sous forme d'arcades de jeu, jusqu'à nous faire prendre conscience de l'importance des droits neurologiques, de peur d'en arriver là (mais où?).
Ataraxie du Collectif Coin me semble être l'oeuvre « point d'orgue » de cette édition du KIKK in Town. Elle enquête sur le vide et l'inconnu, cherche à comprendre comment remplir les vides qui nous entourent. Inviter à nous rendre dans le noir complet, où seuls nous percevons quelques rayons laser, Ataraxie (ou « tranquillité de l'âme »), amène les spectateurs à s'interroger sur la signification de ce terme dans un monde post-pandémique, intangible et en mouvement perpétuel.
Nous échangeons donc à travers nos émotions, notre empathie, notre expression corporelle. Un chant d’amour, un rythme endiablé, une danse sensuelle, une musique triste, ou une main qui nous touche, sont autant d’éléments rassembleurs qui permettent de partager et de développer un sentiment d’appartenance à une communauté. « L’homme est un animal social », cette citation d’Aristote nous rappelle que c’est dans la nature humaine de s’assembler avec les autres pour survivre. Les humains ont créé des sociétés, tout comme les abeilles, pour cette exacte raison. Cette belle édition nous rappelle qu'il ne faut pas les laisser s'étioler.
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© Marie Aude Rosman