Par Marie-Aude Rosman
L’exposition The Circus We Are se déploie sur plusieurs lieux emblématiques namurois, explorant l’histoire et la signification du cirque dans l’art ancien, moderne et contemporain. De par sa dimension magique, le cirque est une attraction qui suscite l'émerveillement et l'excitation du public depuis des siècles. Ayant depuis longtemps inspiré les artistes, il incarne souvent un symbole important : la métaphore de la condition humaine, fut-elle paisible ou douloureuse. En effet, la vie elle-même ne prend-elle pas bien souvent la forme d’un cirque ?
Pour la commissaire de l’exposition, Joanna De Vos, l’univers du cirque revêt un goût de madeleine de Proust : son arrière-grand-père, Frans De Vos, était directeur de cirque et artiste-peintre. Il est d’ailleurs possible d’admirer, en préambule de l’exposition au Delta, deux bannières qui ornaient le chapiteau du cirque familial.
La vie elle-même ne prend-elle pas bien souvent la forme d'un cirque?
Au Delta, l’exposition propose des œuvres contemporaines belges et internationales, revêtant une tonalité plutôt étrange, voire même cruelle parfois. Car tandis que les formes ont l'air festives ou ludiques, le ton de l’exposition est plutôt lourd, comme le signale l’œuvre de Dodi Espinosa évoquant la philosophie cynique de Diogène de Sinope, nommé « le chien » par ses disciples (d’où l’image d’un os à ronger suspendu dans la cage d’escalier, devenant la colonne vertébrale même de l’exposition). Nous sommes ainsi invités à repenser les valeurs dominantes de notre époque avec ces artistes, dans une attitude de désinvolture face à la vie, comme le faisait Diogène.
De nombreux artistes entretiennent d’ailleurs des affinités avec l’image déjà absurde du clown, qui peut être comique ou inquiétante. Les artistes eux·elles-mêmes s'identifient à ce personnage qui aime repenser la vie sous d’autres lumières, pour que leurs semblables voient, ressentent ou pensent en marge de la bienséance. Ainsi des visages peuvent se maquiller (comme chez Santiago Ydañez) ou des corps peuvent se revêtir d'un costume blafard (celui du clown blanc chez Erwin Olaf) pour explorer la gravité de la récente période de confinement.
Nous rencontrons également un funambule qui progresse dangereusement sur le fil d’une réunification culturelle (Taus Makhacheva) et un cirque baroque et très agité, qui symbolise une révolution russe tumultueuse (Uldus Bakhtiozina).
Avec Homa Arkani, un jeu pop de formes et de couleurs chatoyantes incarnent paradoxalement l’un des sujets les plus graves de l'histoire contemporaine : les pertes humaines de migrants tentant de traverser des mers et des fleuves. Aussi, les lumières étincelantes d’un chapiteau de cirque ornent l’image du Christ en martyr (Carlos Aires) et plus loin nous rencontrons une danseuse dans une tenue théâtrale, présentant une attitude qui contraste avec l’extravagance du spectacle pour lequel elle semble se préparer (Hans Op de Beeck)… Mais le jeu n'est pas en reste : Kendell Geers, lui, affuble des ballons de masques à l’effigie de personnalités politiques autoritaires, dans le but d’inviter les visiteur·euses à jouer avec eux comme eux ou elles jouent avec leurs concitoyen·ne·s.
Au Delta, les images et les métaphores ne manquent donc pas dans l’imaginaire de ces artistes pour exprimer des regards perplexes sur le monde et sur son éventuelle futilité.
Au musée Félicien Rops, l’exposition met plus l’accent sur les conditions de vie des artistes de rue et des animaux qui les accompagnent dans leurs voyages. À l’instar de Félicien Rops, qui ne représente pas le spectacle mais plutôt les coulisses du cirque, nombreux.ses sont les peintres qui donnent une vision sociale de cet univers. Des extraits de romans ponctuent la présentation des œuvres du 19e siècle, comme le célèbre Sans famille d’Hector Malot (1878), tandis que quelques artistes contemporain.e.s continuent la réflexion…
L'exposition Diableries du musée des Arts Anciens, propose, elle, une immersion dans l’univers captivant du Diable, figure emblématique de notre imaginaire collectif. Tantôt créature hideuse et terrifiante, tantôt tentateur séduisant et envoûtant, ce dernier effraie autant qu’il fascine depuis des siècles, usant de ruses dans le but de corrompre les esprits et de les soumettre à la tentation. L’exposition dresse en cela le portrait de ceux que l’on considérait autrefois comme des disciples du Diable : démons et sorcières, mais aussi les saltimbanques, escamoteurs et autres jongleurs.
Pour terminer cette promenade saltimbanqueste, la Belgian Gallery expose des autoportraits en clowns de près de 75 artistes différents dans la série The Clown Spirit, initiée en 2019 par la curatrice Joanna De Vos.
L'exposition The Circus We Are est visible au Delta jusqu'au 25.09