Briser le plafond de verre / Parole donnée à Anne Dejaifve
Bon nombre de fois, la confrontation à l'acte créateur devient l'expérience du doute, de l'absence, de l'opacité. L'art est-il une imposture ? Un âpre mélange entre non-sens et sursubjectivité ?
Nous sommes confrontés à l'illisibilité des œuvres que nous côtoyons. Ou même nous ne le sommes plus du tout, car le manque d'empathie des institutions artistiques nous pousse finalement doucement vers la sortie. En cela, la réalité de l'art d'aujourd'hui nous conduit bien souvent à nécessiter un commentaire, une réflexion verbale, une parole pour l'appréhender et l'apprécier.
Pourtant, s'il est souvent accepté que si l'artiste choisit de produire des images, c'est parce qu'il est moins à l'aise avec les mots, que leur vastité ne suffise pas à nuancer la complexité de ce qu'il perçoit, ou bien qu'il n'aime simplement pas offrir des réponses qu'il n'a pas plus que nous. Heureusement, tel n'est pas le cas pour tous, étant donné l'infinité de causes premières à l'acte créateur. L'occasion d'entendre s'exprimer les artistes qui le souhaitent et représentent la scène contemporaine namuroise nous est offerte par le Centre Culturel de Namur et le Delta, un mercredi par mois. Une excellente occasion d'ouvrir les portes des ateliers spéculatifs de leurs cerveaux créateurs.
Tantôt assurée, tantôt plus hésitante, cette parole de l’artiste donne à entendre et à voir ce qui constitue l’acte créateur : les questionnements, les hasards heureux, les obsessions ou les désirs enfouis ; soit l’art en train de se faire ou de se penser. Et c’est bel et bien dans la rencontre que peut véritablement se déployer cette pensée du travail artistique (cit. : CCN).
Un mercredi par mois, nous sommes donc conviés à écouter, dialoguer, partager avec des artistes plasticiens, vidéastes, photographes, autour de leur travail en cours, leurs préoccupations du moment et leurs projets à venir.
Ce mercredi 18 mai, la très pédagogue Anne Dejaifve s'est révélée. Sans dévoiler tous les mystères de son atelier, de son inspiration, qui offrent leur part de charme à sa création artistique, elle a offert quelques clés afin de pénétrer dans son univers. Entre ses plus grandes préoccupations, ses thématiques phares, les différentes strates / phases de sa création, ses notions fétiches, ses lectures les plus inspirantes, elle a livré la petite part d'elle-même qui a tracé son chemin plastique. Un chemin non linéaire, un maillage, un réseau, une succession de bifurcations, de détours, de choix et de renoncements.
Choix = casse-tête = échafaud
Elle nous a raconté que tout son travail, pourtant presque abstrait, part de Namur. Arpentant son espace, du Houyoux à la Sambre et la Meuse, en suivant les flux, le thème de la croisée des chemins s'impose souvent à Anne Dejaifve. Se situer, c'est travailler « son » lieu, en remontant les cours d'eau et embranchements, en rejoignant l'histoire de l'art et les mythes.
« Styx ou bivium, quel que soit le point d’intersection, il nous interroge sur notre destinée » a dit Anne Dejaifve, reprenant ces termes à de nombreuses reprises. Le jeu et la nuance des mots lui permettant aussi de conduire sa pensée vers l'objet figuratif qui lui sert de matrice, ou d'image répétitive, dont le sens est bouleversé à chaque nouvelle réutilisation sur une nouvelle toile.
Car les messages sont présents et absents en même temps dans la peinture d'Anne Dejaifve. D'abord par sa peinture qui est toujours à la lisière de l'abstraction et de la figuration. Elle ressemble, mais n'est pas, et cela grâce à la synthétisation du signe figuratif.
Signe / cygne
Par exemple le signe, ou cygne (l'oiseau) dont l'image en vol toutes ailes déployées, dans une image simplifiée devient croix. Le signe est donc autant représentatif de la vie que de la mort. L'oiseau de la vie, la croix de la mort. Une image hybride qui questionne plutôt qu'elle ne donne de réponses.
« Travailler les strates pour atteindre les profondeurs, associer abstraction et figuration, oblitérer pour révéler, par ces gestes, je cherche à traduire les battements actuels du monde. Dans ces tensions constantes, mais stimulantes, il s’agit simplement de poser question. »
Cette soirée fut donc tout en questionnement, en ouverture de sens, en multiplication des histoires grâce à ce beau voyage dans un univers loin des communs. Voyage qui a permis un échange très riche et bienveillant, à l'aune d'une nouvelle manière de percevoir ce travail souvent exposé aux alentours de Namur.
Réactions du public :
« Je ne suis pas plasticien, ni même artiste, mais ce soir vous m'avez donné envie de peindre »
« J'ai suivi vos cours en secondaire... ce soir je les comprends ! »
« Je suis encore plus touchée par vos mots que je ne l’étais déjà par vos couleurs »
Dates des 3 premières rencontres de la prochaine saison :
Le 18 octobre au Delta, 20h -> Amélie Scotta
Le 15 novembre au CCN, à 20h -> Aimé Mpane
Le 6 décembre au Delta, à 20h -> Olivier Pestiaux
Site de l’artiste : http://www.annedejaifve.com